lundi 28 mars 2011

une tuile de Marseille à Jambi (Sumatra)

une maison traditionnelle d'un kampung de Jambi
(toiture de tuiles ordinaires)
Sur la rive opposée au centre ancien de Jambi, dans une maison ancienne d'architecture traditionnelle de cette région de Sumatra, on propose aux visiteurs de passage des tissus batik et quelques songket (étoffe brochée d'or ou d'argent, spécialement à Sumatra et dans la péninsule malaise). Nous nous asseyons sur le sol couvert de tapis et l'on me montre quelques tissus aux motifs et couleurs locaux. Or voici que la propriétaire des lieux et sa mère âgée, apprenant que je suis français, me parlent d'une tuile et vont la chercher dans une pièce voisine. Elles me montrent alors une tuile de fabrication française et me disent que dans ce kampung deux ou trois maisons ont eu une couverture de tuiles de ce type, en provenance de Singapour. 

verso
recto
Un étude australienne trouvée sur internet me révèle qu'à la fin du XIXème siècle la société "GUICHARD CARVIN & Cie, MARSEILLE St ANDRE" aurait été l'une des sociétés marseillaises les plus connues dans le secteur de la tuile, ayant une politique d'exportation active vers la Turquie, les Indes, l'Amérique latine, Singapour et l'Australie. Ses tuiles étaient appréciées pour leur relative légèreté et leur adaptation aux pluies tropicales accompagnées de bourrasques. Cette dernière qualité était due au dessin relativement complexe des bords de la tuile qui assurait un bon écoulement des eaux et la solidarité de la couverture de tuiles.
La marque "GUICHARD CARVIN & Cie" était précédée et suivie de l'emblème de l'abeille.

Mes interlocutrices ajoutent qu'un collectionneur de Jakarta a manifesté de l'intérêt pour cette tuile. Il n'est pas un domaine qui n'ait ses collectionneurs...

dimanche 27 mars 2011

Sriwijaya invisible 1: Palembang

statuette en bronze du Buddha Maitreya, en position assise, portant collier 
à motif central, ceinture à fermoir orfévri, brassard à fleuron, cordon
 brahmanique, et un diadème surmonté d'une tiare (ou un chignon?) à motif de
 stupa à neuf étages dans une niche qui se termine en bouton de lotus
(entre le VIIème et le XIIème siècle selon les indications imprécises
du musée de Palembang)

Entre le VIIème siècle et XIème siècle de notre ère, le site de Palembang (Sumatra Sud), le long de la rivière Musi, a été le centre de l'empire maritime de Sriwijaya qui a rayonné sur l'Asie du Sud-Est insulaire. Des pélerins venant d'Inde ou de Chine et bien sûr d'Asie du Sud-Est y séjournaient et y recevaient des enseignements bouddhiques. Quasiment aucun vestige, en dehors de quelques stèles, statues et vestiges archéologiques, transférés pour l'essentiel au musée de Jakarta, ne permet de s'en faire une idée. Il faut dire que beaucoup des constructions de l'époque étaient en matériaux périssables qui n'ont pas résisté au temps, tant en raison du climat que des vicissitudes de l'Histoire (au XIVème siècle, Palembang semble être devenu tributaire de l'empire de Mojopahit de Java Est).
Entre temps, au début du XIème siècle, des incursions venues d'Inde ont mis à mal Palembang avec pour conséquence le transfert du centre de cet "empire" à Jambi (Sumatra Est), le long de la rivière Batang Hari. Là, un important site archéologique, Muara (prononcer Muaro) jambi est en cours d'exploration; huit édifices de brique ont d'ores et déjà été restaurés, soit environ un dizième.


la place horrible devant la Grande Mosquée (Masjid Agung) de Palembang,
 avant d'accéder au pont Ampera
Aujourd'hui, Palembang, plus d'un million et demi d'habitants, est une ville hideuse, sans âme et polluée. Les trottoirs, lorsqu'ils existent, sont défoncés. L'architecture, quand elle n'est pas faite de bric et de broc, est souvent sous l'influence des constructions de "style international" (c'est à dire de ce style d'architecture moderne qui ne cherche pas à s'inscrire dans un environnement existant mais prône la rupture radicale, et opte pour des lignes simples horizontales et verticales, associée à l'usage de matériaux nouveaux, béton, verre, acier). Sauf qu'il y a d'excellentes architectures de style international, mais que celle qui s'est répandue en Asie du Sud-Est dans les années 60-70-80 est le plus souvent laide, car elle a été mal assimilée par les architectes qui ont oeuvré, et les matériaux utilisés sont de mauvaise qualité et vieillissent mal. Les enseignes anarchiques achèvent de défigurer l'ensemble.


la rue principale (jalan Sudirman) au droit du pont Ampera

La ville est traversée par la rivière Musi qu'enjambe un pont, lui aussi sans intérêt, l'Ampera.


le pont Ampera

On voudrait voir l'architecture vernaculaire, souvent des maisons de bois sur pilotis; en quittant le centre et les grands axes on en voit un certain nombre, à 99% défigurées par des restaurations ou des adjonctions inadéquates, dans un environnement qui n'est pas entretenu, voire est franchement sale.
Difficile de faire coincider cette image avec l'Histoire glorieuse. 

Les seuls lieux correctement entretenus sont les lieux de culte: les nombreuses mosquées et quelques temples chinois bouddhistes ou confucianistes (klenteng) aux couleurs criardes. Cet état de fait est sans doute d'une certaine manière le reflet d'une facette de l'évolution de la société indonésienne: réislamisation depuis les années 80-90, nouvelle visibilité de la minorité d'origine chinoise depuis le début des années 2000 (rappelons que la croyance en un Dieu unique est inscrite dans le Pancasila, socle idéologique de la constitution indonésienne, et que Confucius -Kong Hu Cu- a été admis à ce titre au lendemain de l'effondrement du régime autoritaire de Suharto en 1998. Les autres croyances en un dieu unique reconnues par l'Etat sont - au besoin au prix de quelques contorsions pour certaines d'entre elles - l'Islam, le catholicisme, le protestantisme, l'hindouisme, le bouddhisme).


la Grande Mosquée, construite au milieu du XVIIIème sous l'impulsion
 du Sultan Mahmud Badaruddin, avant son extension dans les années 1930
au premier plan la Grande Mosquée (Masjid Agung) restaurée, avec son minaret
et sa toiture caractéristiques, et à l'arrière l'extension récente (années 1930),
 et le nouveau minaret de style allogène (1970)
l'ancienne mosquée (restaurée) avec ses toits superposés dans le style indonésien
 et sur chaque façade un petit pavillon aux toits recourbés (une influence chinoise)
La présence chinoise est ancienne. Si l'on traverse le fleuve Musi, on peut d'ailleurs voir le kampung kapiten (kampung = village), où trois maisons auraient été édifiées dit-on dès le XVIème siècle (?) par un clan (marga = famille élargie) chinois, la famille Tjoa. 


la première des trois maisons donnant sur la place.
 On appréciera l'adjonction rose...

la maison du milieu, avec une colonnade sans doute plus récente
maison de la famille Tjoa, où se trouve le lieu de culte
c'était trop beau! un aménagement franchement laid de la petite place, pourtant
pour une fois épargnée par la circulation,  est venu défigurer les lieux...
Palembang accueille cependant également quelques tombeaux de saints ou de personnages importants de l'Histoire locale, où l'atmosphère est plus prenante. 
(à suivre...)

vendredi 18 mars 2011

rochers et rocailles*

A Makassar, au sud de Sulawesi (île anciennement dénommée Célèbes), le cimetière dénommé "makam Sultan Hasanuddin" accueille les tombes formant caveau de princes et sultans locaux de Goa (orthographié aussi Gowa, ancienne pricipauté du sud de Célèbes), dont le tombeau du sultan Hasanuddin (1629-1670). Au coeur du cimetière a été édifié un pavillon ouvert sous lequel on peut voir un faux rocher maçonné. Le gardien des lieux en ignore la signification.

dans le pavillon édifié au milieu du cimetière

vue de l'autre côté

Pourquoi un faux rocher a-t-il été crée au coeur du cimetière?
S'agit-il de la manifestation de croyances antéislamiques dans ce lieu dédié aux défunts et aux esprits?
La présence à proximité immédiate d'une "pierre plate sur laquelle les princes prenaient place pour leur investiture" ( selon les renseignements recueillis par Christian Pelras, grand spécialiste de Sulawesi, cf. revue "Archipel" 1975, n°10,  p.20) pourrait le laisser penser. D'autant plus que le jour où j'y suis passé, en 2008, une sorte de cérémonie d'"exorcisme"(prières, cris, pleurs) a eu lieu là, juste avant que je n'en photographie les traces.

pierre d'investiture du Sultan à côté du cimetière

herbes et pétales de fleur de la cérémonie

D'ailleurs, au coeur de Sulawesi, en pays Toradja, où le culte des morts joue un rôle central dans la culture et les échanges entre familles, des mégalithes ont été édifiés en nombre.

à Rantepao, en pays toradja

dans les environs de Rantepao

A Java même les rochers sont fréquents, dans des aménagements urbains, à l'angle de rues, dans les aménagements paysagers des jardins, le long de certains trottoirs ou devant certaines maisons particulières. Les murs à décor de faux rochers et les fausses rocailles ayant pour vertu d'embellir, selon le sentiment commun, sont également nombreuses à Palembang et à Jambi (Sumatra). Au delà du sentiment commun, et du goût parfois douteux des réalisations actuelles, sans doute y-a-t-il des ressorts inconscients remontant à une tradition ancestrale.

un jardin de la Fakultas Ilmu Budaya
de l'Universitas Gadjah Mada
des baraquements construits dans une rue du quartier Sagan,
par des habitants précaires sans doute, mais dont la créativité est originale,
voire franchement déjantée. Devant une fausse rocaille, à la fois bétonnée
 et peinte dans la partie haute.






Du rocher à la rocaille, il n'y a qu'un pas. Je le franchis.

pavillon surmontant une rocaille à Gua Sunyaragi

A Cirebon la rocaille est omniprésente dans les kraton (= palais), mais aussi dans un jardin de méditation édifié sans doute au milieu du XVIII ème siècle, "gua Sunyaragi" (gua = grotte), pour un sultan de Cirebon, en dehors de la ville ancienne ( Sur le sujet Denys Lombard a écrit un passionnant article dans la revue "Arts asiatiques" en 1969, intitulé "Jardins à Java"). Il s'agit d'un monticule maçonné, fait de rochers, briques et mortier, avec des passages secrets et étroits, agrémentée de pavillons.

Une autre vue du complexe de Gua Sunyaragi

l'un des jardins du kraton Kasepuhan

On en trouve même dans une pièce du kraton Kasepuhan une rocaille peinte dans un style étonnant...

...qui nous semblera kitchissime...


Ces fausses rocailles et les jardins où elles se trouvent, sont associés à la méditation, à la communication avec les esprits. Beaucoup de javanais sont réceptifs aux phénomènes surnaturels, et nombre de cérémonie sont toujours organisées dans les lieux idoines, grottes, temples, ... et aux dates propices selon le calendrier javanais, le cas échéant croisé avec le calendrier musulman.

au kraton Kanoman de Cirebon

mur au kraton Kanoman

l'entrée de la résidence du sultan du kraton Kasepuhan

même le char d'apparat du sultan de Cirebon du kraton Kanoman est composé
comme une rocaille
* Nota bene: photos JLA.

lundi 14 mars 2011

reliefs en pierre de mosquées anciennes à Java

Dans les murs de la mosquée de Mantingan (près de Jepara, sur la côte nord de Java), de petits reliefs en pierre datant de l'époque du sultanat de Demak (XVIème siècle) ont été réemployés et réencastrés. Ils présentent un décor constitué de fleurs et de feuilles de lotus, de petits pavillons et de monts.
On pense que ces reliefs poursuivent la tradition décorative de l'empire hindouiste de Mojopahit qui s'est effondré au début du XVIème siècle sous la pression grandissante des petits sultanats de la côte nord de Java islamisée au XVème siècle.

sous le auvent de la mosquée de Mantingan

un détail

arbres, monts, pavillon, et candi bentar au premier plan

végétation et monts





Au musée de Semarang sont d'ailleurs présentés deux reliefs dont la face opposée au décor floral figure des motifs préislamiques.



au revers du bas relief on voit une divinité hindoue



au revers de ce relief de fleurs et d'entrelacs,  sans doute l'illustration d'une histoire d'une épopée hindoue



A Mantingan des médaillons à motifs d'entrelacs alternent avec ces paysages oniriques, que l'on rapproche plus spontanément des motifs décoratifs musulmans.








Le tempat wudlu pria (lieu réservé aux ablutions) de l'ancienne mosquée de Kudus (datant également du XVIème siècle, et située non loin de Mantingan), célèbre pour sa tour-minaret de briques rouges, comporte également des médaillons de forme semblable à motif d'entrelacs.


médaillon à décor d'entrelacs au bas de la cuve



l'un des robinets du tempat wudhu pria de Kudus

Le relief des robinets d'arrivée d'eau eux mêmes peuvent être rapprochés d'un troisième type de décor, plus fruste, que l'on trouve à Mantingan.


à Mantingan

Toujours sur la côte nord de java, mais plus à l'est, non loin de Surabaya, on retrouve à Sendang Duwur ce type de décor sur le petit tombeau d'un saint local, derrière la mosquée reconstruite.

partie basse du tombeau de Rahaden Nur (ou Sunan Sendang)

On y accède en suivant le chemin qui passe sous la célèbre porté ailée qui fait la renommée de Sendang Duwur, également témoin du style de Mojopahit. Mais je reviendrai sur ce lieu merveilleux.

la porte ailée sculptée et le petit cimetière,qui dominent la vallée à Sendang Duwur, sur la côte nord-est de Java



lundi 7 mars 2011

géométrie et humidité au Tamansari (2)

Après avoir exploré le Sumur Gumuling je reviens maintenant sur le second passage sous l'eau permettant d'accéder, depuis le bord du "lac" ou grand bassin (Kolam Segaran), à l'île (Pulau Keranga) sur laquelle était édifié le bâtiment à plusieurs niveaux.


Afin de mieux se situer voici une reconstitution graphique établie par Jacques Dumarçay (architecte ayant participé aux travaux de restauration du temple de Borobudur dans les années 1970-80), reconstitution qui permet de se faire une idée des lieux tels qu'ils étaient fin XVIIè-début XVIIè siècle.
Le Sumur Gumuling y est signalé, et l'on voit, au sud du bâtiment édifié sur l'île au milieu du bassin rectangulaire, le passage subaquatique et le deux pavillons d'accès aux deux extrémités.

mauvaise photo du plan établi par Jacques Dumarçay dans son étude architecturale
 du Taman Sari, publiée dans le Bulletin de l'Ecole Française d'Extrême-Orient de 1978.

Il se dégage de ces ouvrages une atmosphère particulière, propre au kraton de Yogyakarta, née du mélange de cette blancheur éclatante, d'une relative simplicité des formes et des motifs décoratifs, d'une régularité de la composition.

l'accès côté île, à la façade décorée de motifs végétaux


l'accès vu de l'intérieur


le passage éclairé par des puits de lumière


belle forme voutée


blancheur et traces d'humidité


l'accès côté rive

les puits de lumière aux toits caractéristiques.
Seule la partie supérieure émergeait.

La sortie débouche sur l'enceinte du bassin, que l'on suit en se dirigeant vers l'est.

la sortie côté rive
un peu plus loin sur l'enceinte du bassin